Dès l’origine, la proposition de loi « visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels » s’apparente beaucoup à ce que l’on appelait auparavant une loi DMOS (diverses mesures d’ordre social), sans que l’on sache toujours ce qui relève vraiment de « l’initiative parlementaire » ou du téléguidage gouvernemental, dans un contexte de majorité minoritaire.
Parmi les dispositions inscrites dans l’article 25 de la loi, figure la création « d’un droit d’option pour doter de la personnalité morale les groupements hospitaliers de territoire. En effet certains GHT sont arrivés à une maturité de coopération qui les pousse à vouloir porter certaines fonctions à l’échelle du groupement et non plus des établissements seuls. » (termes de l’exposé des motifs initial).
LES INTENTIONS AFFICHEES DU LEGISLATEUR
Dans le rapport de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, l’argumentaire était ainsi renforcé (le rapporteur étant le premier signataire de la PPL) :
« L’absence de personnalité morale, un obstacle à terme
« La loi de 2016 n’a pas conféré de personnalité morale aux GHT. Pour contourner cette difficulté, a été conçu le système d’un établissement support agissant pour le compte des autres établissements du GHT. Cependant, cette formule a le défaut d’instaurer une sorte de hiérarchie entre établissements et de ne pas répondre à tous les besoins. Ainsi, le portage de projets à l’échelle du GHT s’avère complexe sur les plans juridique et budgétaire, par exemple pour l’octroi des autorisations d’activités et d’équipements lourds. Cette difficulté conduit certains établissements de GHT à se constituer en groupements de coopération sanitaire (GCS), pour bénéficier d’autorisations multi-sites.
« Cette situation paraît clairement sous-optimale et tend à freiner les dynamiques territoriales lorsqu’elles existent. Cela avait conduit nos collègues Marc Delatte et Pierre Dharréville, dans le rapport de la Mecss précité, à préconiser que soit étudié l’octroi d’une personnalité juridique souple aux GHT qui en feraient la demande, laquelle ne se substituerait pas aux personnalités morales des établissements (ce qui s’apparenterait à une fusion). »
« La personnalité morale des GHT ne se substituera pas à celle des établissements
« En effet, une telle substitution s’apparenterait à une fusion des établissements, comme cela a été le cas pour certains GHT. Cette situation n’a pas vocation à devenir le cas général. La personnalité morale sera donc octroyée au GHT par sédimentation, et s’additionnera à la personnalité morale des établissements membres. Cela impliquera que soit définie une répartition des compétences entre le GHT et les établissements membres, laquelle ne sera pas nécessairement la même pour l’ensemble des GHT.
« Une option et pas une obligation
« Cette personnalité morale est conçue comme un droit d’option pour les GHT qui ont atteint une maturité suffisante dans leurs coopérations. Les acteurs de ces GHT éprouvent spontanément la nécessité d’une personnalité morale qui faciliterait la mise en œuvre de leurs projets. La personnalité morale implique en effet l’autonomie de gestion avec un budget propre, des achats en qualité de pouvoir adjudicateur, des personnels en propre, un patrimoine, la capacité de contracter et d’ester en justice, mais aussi de détenir des autorisations d’activités et d’équipements lourds d’imagerie médicale.
« L’obtention de la personnalité n’a nullement vocation à se muer en obligation pour l’ensemble des GHT. En effet, en l’absence de dynamique de projet sous-jacente, cette évolution ne présente pas d’intérêt. Les années récentes ont montré que seules les coopérations volontaires, portées par les acteurs de terrain, étaient susceptibles de véritablement faire progresser l’intégration du GHT. Il convient de préserver cette logique en faisant de la personnalité morale un outil à la disposition des acteurs, au service de projets médicaux, et non une coquille vide.
LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DE L’ARTICLE 25
Dans tous les cas, il est posé le principe du consensus puisque cette option ne peut être actionnée qu’en cas de demande conjointe de l’ensemble des directeurs après délibérations concordantes des conseils de surveillance ou d’administration.
La première option de personnalité du GHT concerne les cas où les membres ont fusionné : on admettra que dans ce cas il est plus facile au directeur d’être d’accord avec lui-même, comme au conseil de surveillance… En pratique cette première hypothèse légalise le fait que l’établissement fusionné n’a pas à adhérer à un nouveau GHT.
La vraie option consiste en la création d’un GCS qui devient aussitôt le « support » des fonctions mutualisées obligatoires, voire des fonctions optionnelles. Il y a donc substitution du GCS à l’établissement support, mais non dessaisissement : le directeur de l’établissement support est nécessairement l’administrateur du GCS, et le PCME de groupement son vice-administrateur.
Il est précisé que le GHT-GCS, même porteur d’autorisations, ne peut être érigé en EPS.
Il est enfin renvoyé à un décret en Conseil d’Etat, pour définir les modalités.
L’ANALYSE DU CHFO
La loi de 2016 a fait entrer le monde hospitalier dans l’ère de la coopération obligatoire, qui s’était déjà largement imposée pour les collectivités territoriales. La coopération obligatoire n’est parfois qu’une étape vers l’intégration (cf. les fusions de communes) mais c’est loin d’être une généralité. L’observation des réformes universitaires serait sans doute également riche d’enseignements, puisqu’on y retrouve la même logique et aussi les effets d’imbrication de personnes morales.
Aussi, c’est avec pragmatisme que le CHFO porte le modèle d’un GHT collaboratif et solidaire. C’est malheureusement hors de portée dans nombre de cas, tantôt par l’absurdité de périmètres décrétés par les ARS, tantôt aussi par la culture managériale et médicale de pseudo leaders héroïques, si bien croqués par H Mintzberg.
On notera au passage que l’article 26 de la même loi formalise la procédure de demande de changement de GHT par un établissement.
Depuis 2016, les ARS ont volontiers joué de l’aspect vertical du GHT, ne voulant voir qu’une seule tête avec l’établissement support. Et jusqu’alors, le choix d’un GHT sans personnalité morale était aussi soutenu au nom du refus du millefeuille de structures.
La première interprétation possible de l’option GHT-GCS est donc de faire crédit à l’intention parlementaire d’un GHT moins hiérarchisé en réintroduisant une logique de coopération volontaire. Cela répondrait d’une part aux situations où l’acquis du GHT génère le souhait d’aller plus loin, ou à l’inverse aux situations nécessitant le rétablissement d’une confiance entre partenaires retrouvant un objet commun.
L’autre interprétation consiste à voir dans l’initiative une continuité de méthode, habillée par l’habituelle politique de l’antiphrase ; beaucoup voient déjà comment peut se faire la combinaison entre le GHT-GCS et le régime des autorisations : considérant que l’avis du « COSTRAT » du GHT ne suffirait pas, le GCS « volontaire » deviendrait alors la condition posée par l’ARS pour renouveler une autorisation d’activité. Nous serons alors assez loin de l’esprit de consentement…Rappelons cependant qu’à ce jour, les autorisations d’activité sont encore délivrées par site.
Au plan juridique, le GCS portant la personnalité morale du GHT présente quelques spécificités :
- Ses membres sont strictement délimités : exclusivement tous les établissements partie au GHT (pas les associés).
- Son administrateur est obligatoirement le directeur de l’établissement support ; il est instauré un vice-administrateur qui est le président de la CME de groupement. On ne sait d’ailleurs si celui-ci se substitue à l’administrateur suppléant prévu pour les GCS, ou s’il s’ajoute.
- Il ne peut pas être érigé en établissement de santé.
- Ses missions de gestion sont limitées aux blocs de compétences prévus au I de l’article L6132-3 (fonctions mutualisées obligatoires) et au II du même article (mutualisations optionnelles). Même si le champ peut être large, cela exclut toute notion de compétence générale de ce GCS.
Pour le reste, les dispositions législatives relatives aux GCS ne sont pas modifiées. Cependant, la loi du 27 décembre renvoie à un décret en Conseil d’Etat la définition les conditions dans lesquelles un groupement hospitalier de territoire peut être doté de la personnalité morale… ainsi que les modalités de conciliation des prérogatives respectives du groupement et des établissements parties. On peut donc s’attendre encore à des modifications des dispositions réglementaires relatives aux GCS pour ce groupement Adhoc.
En l’état, ce GCS peut par exemple être employeur mais il ne peut recruter directement des fonctionnaires.
En pratique, cette nouvelle option est-elle appelée à prospérer ? Lors des travaux préparatoires, la DGOS estimait que le nombre des GHT qui demanderait à bénéficier de cette personnalité morale serait limité à court terme.
Le ministère attribue ce peu d’appétit à un défaut « d’unité managériale » des membres des GHT. L’explication n’est pas certaine.
D’abord, il faut prendre en compte les 8 années passées à mettre en place et faire fonctionner les GHT. La modification est bien tardive, et les candidats à repartir dans un nouveau « lego » institutionnel seront probablement peu nombreux.
On peut aussi douter qu’un GHT dont les établissements membres sont en tout ou grande partie en direction commune aient besoin en plus du GHT, sans réduire les couches existantes de la comitologie. Beaucoup garderont la fusion en ligne de mire.
Reste peut-être des GHT peu intégratifs qui pourraient trouver intérêt à un cadre partenarial plus équilibré.
Le contenu du décret d’application sera déterminant : il faut évidemment parvenir à ce que la comitologie du GCS ne s’ajoute pas à celle du GHT !
Pour le CHFO, il est donc essentiel de vérifier si, avec le futur décret, le gouvernement confirme ou détourne l’intention « coopérative » du législateur.
Pour le CHFO, il n’est pas question de priver certains GHT de cet outil, comme il est exclu de voir les établissements se faire tordre le bras pour une nouvelle parodie de coopération.