TRIBUNE
Longtemps qualifié comme l’un des meilleurs systèmes du monde, notre système de santé est depuis plusieurs années en crise. La crise est multiple et touche l’hôpital public, mais aussi les secteurs du handicap, des personnes âgées, ou de la protection de l’enfance.
Crise du recrutement des professionnels que les statuts publics n’attirent plus assez. Manque d’attractivité des rémunérations qui subissent une érosion continue de pouvoir d’achat malgré des revalorisations récentes. Grande démission accélérée sans doute par l’épuisement professionnel post COVID mais aussi un sentiment de perte de sens. Flambées de l’absentéisme qui met à mal les organisations et les équipes. Phénomène sans précédent de fermetures des urgences, de lits de spécialités d’aval, de lits en soins de suites, de places en EHPAD… Tendances d’autant plus inquiétantes qu’on constate aussi de d’avantage d’abandons d’études en cours de formations paramédicales et médicales.
Tous ces éléments conduisent à une accentuation rapide des inégalités territoriales cumulées à des inégalités sociales en santé, et un renoncement aux soins et à la prévention des plus précaires et des plus vulnérables.
Plusieurs facteurs concourent à cette situation : le numerus clausus desserré mais jamais supprimé dans les études médicales et paramédicales, une répartition inégalitaire des médecins, l’image brouillée d’un hôpital public pressuré par des années d’économies budgétaires, la pénibilité du travail à l’hôpital en jour/nuit/week-end avec des changements de plannings subis qui impactent la vie personnelle des agents, l’augmentation des charges en soins avec des effectifs qui ne permettent pas de répondre aux besoins des patients, la croissance des actes d’incivilité et de violence envers les personnels. Un autre facteur tient aux attentes des nouvelles générations dans leur rapport au travail, qui souhaitent davantage de flexibilité, quitte à gagner moins. La génération des décideurs doit entendre cette aspiration encore plus forte dans le climat actuel d’inquiétude globale, de crise économique, énergétique, et de guerre en Europe.
Les causes du malaise hospitalier sont protéiformes et l’attente projetée sur le Conseil National de la Refondation (CNR) santé est forte en termes de réformes et innovations. Plusieurs pistes d’action sont ici proposées par thématiques :
POUR ATTIRER LES JEUNES PROFESSIONNELS
- Contractualiser des bourses aux étudiants infirmiers et aides-soignants ;
- Pouvoir nommer immédiatement dans la fonction publique hospitalière des professionnels diplômés sans concours dans certains métiers en tensions ;
- Développer l’apprentissage et le tutorat des nouveaux embauchés ;
- Promouvoir une politique publique du logement pour les hospitaliers avec les communes et départements ;
POUR FIDELISER LES EQUIPES :
- Augmenter la promotion professionnelle et les formations diplômantes dans les plans de formation ;
- Développer la formation universitaire et la pratique avancée des auxiliaires médicaux ;
- Créditer chaque professionnel de santé d’un droit individuel formation enseignement recherche ;
- Prévoir des primes d’ancienneté et de départ à la retraite en fonction du nombre d’années travaillées dans la FPH ;
POUR AMELIORER LE POUVOIR D’ACHAT DES PROFESSIONNELS :
- Revaloriser les rémunérations avec une indexation sur l’inflation ;
- Instaurer une négociation annuelle obligatoire (NAO) ;
- Augmenter le taux et le plafond des heures supplémentaires et du temps de travail additionnel des médecins ;
- Monétiser les CET au salaire réel ;
POUR AMELIORER LA QUALITE DE VIE ET LES CONDITIONS DE TRAVAIL :
- Définir un référentiel de taux d’encadrement par activité financée par les tarifs ;
- Repenser l’aménagement du temps de travail, les organisations et la coordination des équipes dans le cadre d’un projet de service élaboré en concertation ;
- Promouvoir le temps choisi au sein des équipes et le télétravail en développant la pratique en télémédecine et télé-soin ;
- Placer l’éthique au cœur du management et des soins et valoriser la réflexion éthique dans les financements ;
- Renforcer les services de santé au travail et la prévention des risques professionnels ;
- Développer au sein des groupements hospitaliers de territoire des postes mutualisés d’ergonomes, travailleurs sociaux, psychologues du travail, préventeurs, et des crèches, halte garderies et centres aérés inter établissements…
- Fixer à chaque établissement l’objectif de consacrer 1 % minimum à la QVT dans le cadre d’un programme pluriannuel.
POUR REDONNER DU SENS AUX ACTEURS DE TERRAIN :
- Alléger significativement les règles administratives qui pèsent sur les établissements en termes d’autorisation, recrutement, fonctionnement, certification ;
- Favoriser le travail collectif avec toutes les composantes des communautés hospitalières ;
- Redonner aux équipes le temps de faire bien leurs missions grâce à un ajustement des effectifs dans le cadre des ratios de personnel ;
- Instituer des mécanismes locaux de reconnaissance du travail d’équipe et des innovations ;
- Développer la pair-aidance, les médiateurs en santé pairs, l’implication des patients et représentants des usagers dans les organisations internes ;
- Organiser un guichet unique de toutes les tutelles pesant sur l’hôpital public ;
Certaines des mesures proposées coûtent peu et peuvent être mises en œuvre en laissant le maximum de marges d’initiative et d’adaptation aux acteurs du terrain. D’autres mesures plus coûteuses pourraient être audacieusement financées par de nouvelles recettes sociales ou fiscales.
L’hôpital public doit devenir une grande cause nationale et bénéficier d’une loi de programmation pluriannuelle stratégique. Face aux défis sanitaires, climatiques, démographiques, sociaux, humanitaires qui nous attendent, la place et les moyens de l’hôpital public doivent être confortés. Il en va de la sauvegarde de notre pacte social républicain.
Signataires :
Pascal FORCIOLI, Thierry BIAIS, Valérie BOISMARTEL, Julien DUPAIN, Didier HOELTGEN, Pierre NOGRETTE, Philippe PERIDONT, directeurs d’établissements publics de santé.