Publicité mensongère ?
En cette période de campagne électorale, une autre campagne nationale, mais de recrutement pour les métiers du soin et de l’accompagnement cette fois, est lancée à partir du 21 mars 2022. La prise de conscience des pouvoirs publics sur la tension RH que subissent les établissements révèle bien la profondeur du malaise voire du mal-être. D’autres leviers seront actionnés (simplification de la VAE, apprentissage,…) pour mener cette « action de politique publique » comme l’a qualifié le Ministre des solidarités et de la santé. Certes mieux vaut tard que jamais. Mais il est dommage qu’elle intervienne deux ans après le début de la crise Covid, et symboliquement au moment où le pass vaccinal est suspendu. Nous sommes loin du temps des applaudissements quotidien de nos concitoyens.
D’autant que l’image du secteur est fortement écornée par le scandale ORPEA. Au milieu des multiples réactions et déclarations qui jettent l’opprobre indistinctement sur tout un secteur, trop peu de voix se positionnent pour souligner l’investissement continu et bienveillant des professionnels accompagnant nos ainés. La campagne médiatique peut générer des vocations futures, mais les causes du déclin de l’attractivité en revanche ne sont toujours pas traitées.
Pour le CHFO, l’attrait du secteur passe indubitablement par des revalorisations salariales plus conséquentes, par une amélioration des conditions de travail qui implique d’accroitre considérablement les effectifs dans tous les établissements et par une réelle promotion des métiers de l’aide à la personne auprès du grand public. Il n’est pas nécessaire d’avoir recours à des cabinets de consultants ou des publicitaires pour changer le regard sur ces professions et porter une réflexion qui touche à l’enseignement général et à l’échelle des valeurs Républicaines. Depuis le début de la crise on nous annonce la fin du « monde d’avant », mais pour quand ?
Dans la pile de rapports, celui de la Cour des Comptes
La Cour des Comptes a mené une mission donnant lieu à la publication le 28 février d’un rapport consacré à la prise en charge médicale des personnes âgées en EHPAD. Il fait suite à une demande de la présidente de la commission des affaires sociales du Sénat en janvier 2021. La Cour a comparé la situation des EHPAD dans d’autres pays (Allemagne, Belgique, Japon…), et précisé que « nos voisins sont plus avancés que nous dans l’information du grand public ». Ce rapport appelle à une Réforme du mode de financement et « se montre favorable à une fusion des sections soins et dépendance, sous l’égide des ARS [qui] agirait comme responsable unique ». Le financement des EHPAD, jugé « complexe » et « inefficace » pourrait évoluer vers « un modèle unifié de tarification, où l’assurance maladie assumerait le financement ». L’idée sous-tendue est de « regrouper, au niveau des ARS, les discussions financières ». La Cour rappelle que cette réforme s’inscrit dans les préconisations du Rapport LIBAULT.
Le rapport épingle l’accroissement des iniquités territoriales en matière de taux d’équipement ou de dépendance, soulignant également que la part des financements départementaux « ne cesse de décroître », sans toutefois défendre « la disparition de la place des conseils départementaux ». La Cour envisage plutôt de recentrer leurs missions sur la politique de prévention et de consolider leur rôle sur les politiques de maintien à domicile. Le rapport souligne également que les autorités de tarification et de contrôle ne remplissent pas l’intégralité de leurs missions. Les contrôles sont jugés insuffisants, notamment du fait de leur caractère « planifiés et annoncés, ce qui ne permet pas de découvrir des situations alarmantes ». Les EHPAD ne sont contrôlés en moyenne que tous les vingt ou trente ans selon le rapport, et les résultats de ces contrôles ne sont pas rendus publics. L’extension des compétences des autorités de contrôles fait partie des propositions de la cour.
« Les CPOM restent des outils administratifs purement descriptifs » dont le « contenu manque de portée », sachant que seuls 30% des EHPAD en ont conclu. La Cour propose de transformer les CPOM en « outils de pilotage stratégique dotés de moyens financiers ». De quoi réhabiliter le CPO en CPOM !
De nouveaux indicateurs devront être créés pour suivre les domaines les plus en tension dans les établissements. La Cour suggère par exemple de définir des ratios cibles qui porteraient sur le nombre maximum de résidents à prendre en charge par professionnel qualifié, sous forme de référentiels de bonnes pratiques. La Cour appelle enfin à revoir « les régimes d’autorisation, afin de permettre une plus grande souplesse et favoriser le développement de services à domicile par les EHPAD» et de « renforcer la mutualisation et les fusions entre gestionnaires mono-établissements ». L’objectif est de renforcer le rôle de « centre de ressources en gérontologie » des EHPAD et de regrouper les établissements autonomes à l’échelle de leur territoire. Ce rapport alimentera en tout cas les travaux des sénateurs qui produiront à l’horizon du mois de juin un nouveau Rapport, un de plus.
Les préconisations des missions Flash, entre vœux pieux et aveux d’impuissance
La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale avait désigné le 15 février dernier les rapporteurs de 4 missions flash sur les EHPAD. Les missions ont été menées en un temps record. Comme quoi la célérité n’est pas impossible. La présentation des résultats s’est faite en moins de 3 semaines.
Conditions de travail et ressources humaines des EHPAD
La première mission se penchait sur les conditions de travail et les ressources humaines des EHPAD. 13 orientations ont été retenues, parmi elles, la définition d’un ratio minimal opposable de personnels au chevet par résident ; la garantie d’un nombre suffisant de personnel aux moments clés de la journée ; le renforcement du rôle des médecins coordonnateurs ; la pluridisciplinarité effective et quotidienne des métiers au sein des EHPAD ; ou encore la simplification de la validation des acquis de l’expérience (VAE). L’insuffisance des moyens humains apparaît comme un leitmotiv des conclusions de cette mission. Face au manque de personnel, à l’absentéisme et au turn-over élevé les députés insistent sur l’urgence d’une réponse forte. Beaucoup de vœux pieux, qui vont rapidement être confrontés à une réalité, la manque d’attractivité du secteur. Le CHFO plaide depuis de nombreuses années pour le renforcement des moyens humain et financier des EHPAD avec davantage de personnels soignants et de personnels d’animation pour une meilleure qualité des soins et de l’accompagnement. Mais il est un leurre de croire que la main d’œuvre est disponible et qu’elle n’attend que de traverser la rue… D’autant qu’aucun financement n’a encore été entériné pour le recrutement et la formation à venir de ces milliers de professionnels annoncés.
Gestion financière des EHPAD
La deuxième mission examinait la gestion financière des EHPAD. 13 propositions ont été émises, dont la principale vise à fusionner les forfaits soins et dépendance afin de simplifier la gestion financière des EHPAD. La mission suggère également de renforcer les contrôles par les départements et ARS en leur donnant davantage de moyens tout en développant les collaborations avec les chambres régionales des comptes. Cette préconisation est déjà satisfaite par les récentes annonces gouvernementales. Tout comme celles demandant la mise en œuvre du nouveau référentiel que la HAS vient d’annoncer. Comment ne pas y voir une réaction épidermique liée aux récentes révélations. Le CHFO rappelait le 03 mars par communiqué que les dispositions législatives existaient déjà pour que les ARS ou les CD mènent des contrôles. Accroitre les moyens humains des autorités de contrôle et de tarification ne traitent pas le fond du problème qu’est le manque de moyens humains en établissement. Il est évident qu’il y a besoin de plus de soignants et animateurs en EHPAD que d’inspecteurs ! Les effectifs des autorités de tarification nécessiteraient davantage une réorganisation qu’une augmentation. Il est urgent de débloquer des moyens dans les établissements.
Rôle des proches dans la vie des EHPAD
La troisième mission investiguait sur le rôle des proches dans la vie des EHPAD. Au final, la mission a retenu 27 propositions. Pour autant, elle n’appelle pas à une révolution mais plutôt au renforcement de certains outils existants. Le conseil de la vie sociale (CVS) fait l’objet de plusieurs préconisations. La mission estime que seul un CVS sur cinquante fonctionne. Elle propose de les faire évoluer en lieux de concertation et non plus de simple consultation. De manière non exhaustive, parmi les propositions il ressort la volonté de permettre la continuité du suivi des résidents par les professionnels de santé (infirmiers, dentistes, kinésithérapeutes) à l’instar de ce qui se pratique pour les médecins traitants ; d’organiser un entretien un mois après l’admission ; de créer un ambassadeur des familles parmi les professionnels de l’EHPAD; de mettre en place un dispositif d’usager-expert ; d’élaborer un véritable projet de vie opposable à l’établissement ; ou encore de mettre en œuvre des instances veillant à la promotion de la bientraitance dans l’établissement. Le CHFO soutient les cadres de direction des EHPAD publics qui exercent leurs fonctions avec un sens de l’éthique et du service à la personne dans un cadre respectueux, digne et bienveillant, en dépit des contraintes budgétaires.
L’EHPAD de demain
Enfin, la dernière mission concernait l’EHPAD de demain. La volonté de définir un ratio minimum obligatoire de personnels soignants au chevet des résidents est préconisée. Les 7 propositions formulées par la mission, dont une meilleure protection des familles lanceurs d’alertes ou le recrutement supplémentaire d’orthophonistes, d’ergothérapeutes, visent à « remettre l’humain au cœur des établissements ». A noter parmi les propositions, la mission suggère de faire évoluer la formation des directeurs d’EHPAD. A ce stade la proposition reste laconique, mais on peut s’interroger sur ce qu’elle sous-entend. La formation à l’EHESP sera-t-elle impactée ? Le recours aux contractuels sera-t-il renforcé sous couvert du principe de diversité professionnelles des cadres de direction ??
La mission a bien fait le constat des dysfonctionnements de la gouvernance ainsi que de la gestion duale des EHPAD, mais sans pour autant trancher en faveur de l’ARS ou des départements. A la différence de la Cour des Comptes, les parlementaires souhaitent vraisemblablement ménager les départements en cette période pré-électorale. Le CHFO rappelle son attachement à un secteur social et médico-social hospitalier. Le CHFO défend le maintien des D3S dans la FPH dans un objectif d’attractivité des métiers de direction.
Après les rapports et les missions, place au Plan !
Le ministre des Solidarité et de la Santé a annoncé le 8 mars un renforcement des contrôles, la refonte de l’évaluation pour plus de transparence en EHPAD ou encore la création d’un dispositif de médiation en cas de litige.
L’accent mis sur la transparence des informations rejoint celle préconisée par la Cour des comptes. En définissant dix indicateurs de suivi de la qualité du service (taux d’encadrement, taux d’absentéisme, date de la dernière évaluation de l’établissement, nombre de places habilitées à l’aide sociale,…), le Gouvernement veut donner le choix de leur lieu de vie aux résidents en toute connaissance de cause. Ces indicateurs de suivi seront obligatoirement renseignés puis publiés sur une plate-forme nationale. Par ailleurs, la HAS est chargée de proposer avant mai prochain un questionnaire de satisfaction type, rendu obligatoire, qui devra être affiché à l’accueil. Les résultats de ces enquêtes feront aussi l’objet d’un échange chaque année en CVS. La pression commence à monter. Les directeurs perçoivent ce qui se profile. Plus de transparence, mais surtout à très court terme plus de contrôles, plus de reporting administratif, plus de justifications à apporter.
Pourquoi cette nécessaire transparence ne s’applique t-elle pas à tous les niveaux ? L’Etat, les ARS et les départements devraient s’imposer la même exigence. La publication d’indicateurs et les résultats des contrôles devraient être naturels, comme le pratique nos pays voisins plus avancés en matière de transparence dans la vie publique. Un bon exemple serait de communiquer les résultats mensuels de chaque cellule mise en œuvre par la circulaire interministérielle du 12 décembre 2021. Rappelons que si un directeur rencontre des difficultés pour recruter, il doit se rapprocher de la cellule départementale dédiée qui l’accompagnera dans l’ensemble de ces démarches.
Plus sérieusement, une fois encore l’exemple devra venir du terrain. Non content de devoir gérer le manque de moyens et les urgences du quotidien, puis la crise COVID et les iniquités générées par le SEGUR, de se voir malmener dans des campagnes de bashing, les directeurs voient leurs responsabilités croître. Seules deux constantes subsistent pour les D3S, le manque de reconnaissance et l’absence de revalorisation financière.
Tous ces rapports et missions n’en restent pas moins qu’un prélude à une loi Grand âge qui a déjà trop tardé. Le consensus sur le manque de professionnels en établissement doit se traduire par des moyens financiers supplémentaires, immédiats. Au quotidien, l’interrogation est forte pour les directeurs, certains établissements ont déjà des postes qu’ils n’arrivent pas à pourvoir, et la plupart des établissements sont mis en difficultés financières par la non-compensation des charges supplémentaires liées aux revalorisations accordées en 2021 et aux surcouts Covid.
Nous avons la chance de pouvoir vivre plus longtemps, et c’est un formidable progrès. Mais la prise en charge a aussi un coût pour notre Société. Le virage domiciliaire ne résoudra pas la problématique du manque de professionnels. Les personnes âgées sont institutionnalisés de plus en plus tard, de plus en plus dépendantes. Que nos ainés aient le choix et puissent le faire de manière la plus éclairée possible est fondé. Mais la réalité quotidienne des établissements ne se focalise pas sur l’obtention d’une bonne note dans un classement. Du directeur à l’ASH, chacun aspire au travail bien fait ; du directeur à l’ASH, l’EHPAD public est entravé par l’insuffisance de moyens financiers, par la pénurie de professionnels. Voilà l’urgence pour que nos EHPAD et nos aînés retrouvent tous la liberté de choix.