Destinée à offrir un moment de réflexion et de partage pour les directeurs de la FPH et tous les acteurs du management, elle a une nouvelle fois tenu ses promesses en abordant le 7 octobre 2021 les thèmes de l’autorité, de la transgression, de l’obéissance et de la transgression.
L’innovation ne se décrète pas
Tout d’abord Norbert ALTER, Professeur de sociologie, affilié à Sciences Po Paris, a défini l‘innovation comme l’activité qui tire avantage d’une incertitude, soit une situation inattendue, soit une solution inattendue. Pour lui organisation et innovation sont à la fois contradictoires et nécessairement associées.
Il a habilement décrit la diffusion de l’innovation comme une courbe épidémique en S.
Sur la déviance : si le déviant développe des comportements hors de la norme pour des fins illégitimes, l’innovateur développe ces comportements pour des fins reconnues légitimes ; il serait en quelque sorte un déviant à succès, grâce à la puissance des alliances qu’il sait construire.
Il a ensuite souligné qu’une source fréquente de risques psychosociaux chez les cadres résulte de l’injonction à innover, à prendre des risques, confrontée à l’inflation normative de lla bureaucratie. EN cela le discours managérial peut générer une tension anxieuse.
Norbert ALTER nous a invités à déserter les séminaires de créativité, où l’on apprend à faire le pitre. Plus qu’un créatif, un innovateur est un diffuseur qui a la « tête dure », capable de tenir une conviction contre la majorité. Si le technocrate étouffe sous son excès de socialisation, l’innovateur, lui, présente juste le déficit de socialisation suffisant pour assumer de ne pas penser comme la majorité du présent.
Il a insisté sur la boucle du temps qui conduit l’innovation à succès à devenir une norme, même déformée et ajustée puis à être elle-même remise en cause.
Au commencement était le chiffre
Vint ensuite le tour d’Albert OGIEN, Sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS (CEMS-EHESS), de nous sensibiliser à la double face du chiffre : Drogue douce ou drogue dure ?
Son exposé fait la part belle au récit du processus lent, tenace, obstiné, d’extension du domaine du chiffre, en particulier dans notre champ sanitaire et social. Il est devenu l’arme de dissuasion massive de l’esprit gestionnaire. L’objectivité supposée de toute donnée de quantification va progressivement masquer le pourquoi (le sens de la décision politique) et le comment (le chiffre résultat d’un calcul contingent).
On passe alors d’une fascination pour le chiffre à une force contraignante. Dans le domaine de la santé, le chiffre est tantôt source de savoir (la volonté de décrire) et source de pouvoir (la volonté de contrôle). Le chiffre a ainsi la propriété de rendre la déviance quasi impossible, car avec lui un écart chiffré est détectable, incontestable…voire inacceptable.
Pourtant Albert OGIEN nous décrira les multiples formes de déviance au chiffre qu’il rencontrera au fil des ses recherches dans le champ des services publics, des professions de santé, etc.
Mais la mise en chiffres des activités de soin est une opération qui semble vouée à n’être jamais achevée et vire souvent à l’obsession. Face à ce vertige, Albert OGIEN nous appelle à la vigilance et à l’équilibre, car la quantification de l’activité humaine ne vaut pas amélioration de l’activité humaine. Il ne faut pas confondre évaluation professionnelle et évaluation gestionnaire. Saurons-nous dompter la machine ?
Questionnement éthique dans l’après-crise
La 3ème grande intervention de la journée était celle de Fabrice GZIL, Philosophe, directeur adjoint de l’espace éthique d’Île-de-France, membre du Comité consultatif national d’éthique.
A travers l’enquête menée pour alimenter le document repère remis à la ministre déléguée en charge de l’autonomie, il a été amené à traiter des questions au cœur de la responsabilité des directeurs et cadres. Alliant rigueur des concepts et précision des témoignages, F GZIL a bouleversé l’assistance.
Il mentionne en premier 3 épreuves générées pour eux par la crise sanitaire :
- La nécessite de prendre des mesures à rebours de la culture d’accompagnement habituelle
- L’obligation d’endosser une responsabilité de santé publique (une responsabilité « de masse »)
- La confrontation à des scandales moraux, tels que le décret du 1er avril 2020 sur les opérations funéraires
Il souligne ensuite 3 priorités assumées collectivement :
- La vie et la santé des populations avant l’économie
- Le principe d’égalité et de non-abandon, contre le tri, contre l’âgisme.
- L’introduction des meilleures connaissances disponibles pour des décisions rapides (au détriment du choix collégial et de la démocratie sanitaire).
Sans se limiter au point de vue des professionnels, mais en l’élargissant aux patients, aux familles, Fabrice GZIL expose toute la gradation qui est allée de « l’inconfort éthique », préexistant, à la souffrance éthique, au long de la crise, pour finalement nous appeler à tirer 3 leçons :
Une prise de conscience de notre nature d’êtres relationnels plus qu’isolés : dépendance à l’attitude des autres, aux autres métiers, aux relations humaines, au contact physique.
L’idée que la dialectique liberté sécurité ne serait pas une question de curseur, car chaque liberté implique de rechercher ses conditions d’exercice le plus sûr possible.
La conscience que le champ du soin va au-delà du soin clinique, en particulier avec cette transgression majeure qu’a constitué le décret d’avril 2020.
Le débat a ensuite porté sur les questions de soft law (les MARS et les FAQ), sur les questions de mémoire dans notre société oublieuse, sur la dimension de peur, mais aussi sur la restauration du sens, du partage et de la considération.